Esprit de collection : une terre, une forme, un émail !

Esprit de collection : une terre, une forme, un émail !

par sandrine

Si, comme moi, vous avez envie de savoir ce qui se cache derrière chaque collection et comment Giom en est arrivé là, alors cet article est fait pour vous 🙂

Sandrine : Giom, ta production se décline principalement en deux Collections : la Collection Bronze et la Collection Port-Anna.

Chacune de ces deux Collections exprime des sensations bien différentes que ce soit par la couleur, la texture ou l’allure. Tu parles d’ailleurs d'”esprit de Collection”. Est-ce que tu peux nous expliquer comment et pourquoi sont nées ces Collections ?

Giom : La Collection Bronze est la première à être arrivée dans ma tête. Lorsque pendant ma formation, nous avons travaillé sur cet émail, particulièrement instable et complexe à appréhender, j’ai eu envie de me l’approprier et de le mettre au point pour cette première Collection. A partir de là, il s’agissait de trouver les formes qui dialogueraient au mieux avec lui. Comme j’aime les choses épurées, les formes qui se dessinent d’un trait de crayon et qui se réalisent (presque !) d’un seul mouvement, j’ai travaillé sur des volumes assez géométriques et des lignes tendues. Quelques mois après l’installation de mon atelier en Alsace, la Collection Bronze était née !

Et puis au fur et à mesure, elle s’est étoffée. Souvent, c’est un raté ou une erreur qui donne lieu à des idées intéressantes pour développer la Collection. Une tasse tournée trop épaisse m’a donné l’envie de texturer l’extérieur pour renforcer encore les jeux de l’émail, dont les teintes vont du noir mat au doré. C’est ainsi que les tasses à expresso et les grands mugs sont arrivés. Une goutte d’émail Bronze tombée sur un émail d’un vert très léger dans un bol m’a donné envie d’explorer cette piste, et a donné naissance aux saladiers « œuf de mouette » car ils sont tachetés.

Et concernant la Collection Port-Anna ?

Pour la Collection Port-Anna, c’est un peu différent. La Collection Bronze existait, même si elle n’était pas encore aussi étoffée qu’aujourd’hui, et j’avais envie d’aller explorer quelque chose de totalement différent : d’autres formes, de la couleur, un autre état d’esprit ! A partir d’une terre brune de Dordogne que j’aimais beaucoup travailler, j’ai fait des recherches pour trouver l’émail qui m’intéressait : ça a duré plusieurs mois mais je suis arrivé à quelque chose qui me plaisait. Et ensuite, les formes sont arrivées… je ne saurais même pas vraiment dire comment ! J’avais envie de rondeurs après avoir mis au point la Collection Bronze très rectiligne. Et au fur et à mesure de l’exploration de la matière, je suis arrivé à ces formes concaves : l’inverse de ce qu’on fait habituellement en poterie pour augmenter au maximum la contenance des pots.

Cette Collection Port-Anna symbolise vraiment pour moi la rencontre entre la terre de Dordogne, région sublime mais rude dans laquelle j’ai habité 3 ans, et la force de l’océan Atlantique qu’on découvre dans le Golfe du Morbihan. Cette terre brute combinée à la douceur de l’émail beurré d’un bleu canard difficile à décrire, c’est exactement pour moi la mémoire d’une tranche de vie retranscrite dans une Collection.

Tu parles, je te cite, “d’une terre, une forme, un émail”. Comment conçois-tu cela ?

Oui, je suis assez jusqu’au-boutiste ! En installant mon atelier à Mulhouse, et en choisissant de faire de la création artisanale, j’ai voulu choisir scrupuleusement les matières premières avec lesquelles je travaillais. En production industrielle ou semi-industrielle, on choisit sa terre en fonction de son coût ou de la facilité avec laquelle elle se travaille. Pour mes Collections, j’avais envie d’aller au bout du concept de la création, et de réserver une terre spécifique pour une Collection précise. Ainsi, chaque Collection a sa terre : la Collection Bronze est réalisée en grès de Saint-Amand-en-Puisaye et la Collection Port-Anna en grès brun de Dordogne, extrait dans la forêt de la Double, dans le nord-ouest du Département. Ce choix est assez complexe à assumer au quotidien à l’atelier car il faut connaitre les caractéristiques de chaque terre, sa température de cuisson, son rendu, sa réaction avec les émaux, ses limites et ce qu’elle permet… mais également disposer de plusieurs poubelles séparées pour permettre de trier la terre en vue de son recyclage. Ceci implique également de nettoyer les outils entre chaque session de travail, et d’organiser rigoureusement la production pour que l’alternance de terre ne soit pas (trop !) une prise de tête !!!

Mais au-delà des terres, l’esprit de la Collection provient aussi de ses formes et de son émail. J’aime assez l’idée qu’une Collection soit identifiée par une série de formes qui la caractérisent : des formes assez rectilignes pour la Collection Bronze, des formes concaves pour la Collection Port-Anna. Je ne conçois pas ceci comme une contrainte ou une limite, mais plutôt comme une aide à la cohérence. Et puis, ce qu’on voit en premier, c’est évidemment la texture et la couleur des pièces, données par l’émail. Là encore, j’aime assez l’idée que chaque Collection ait son esprit, avec un seul émail qui lui apporte sa spécificité. Alors oui, c’est plus compliqué au quotidien, mais c’est la cohérence que j’ai envie de donner à mon travail.

La Collection Bronze peut laisser croire que tes céramiques sont en métal. Pour la Collection Port-Anna, il y a une dualité entre la rugosité du grès et la douceur de l’émail. 

Autre exemple, la salière qui cache son jeu. Est-ce important de surprendre ou de provoquer des sensations ?

Oui, tout à fait. Pour moi, la création artistique et artisanale permet justement cette confrontation avec la matière qu’on oublie lorsqu’on a un article industriel entre les mains. Il ne s’agit pas de dire qu’il n’y a aucune surprise dans des pièces réalisées en grande série car de nombreux designers font un travail remarquable, mais il est vrai que la réalisation de petites séries à la main permet de renforcer encore ce rapport à la matière. Et quitte à créer un lien intime entre l’objet et la personne qui le prend en main, j’aime assez l’idée que la surprise puisse être une sensation positive. Qu’il s’agisse effectivement de l’émail de la Collection Bronze, qu’on prend quasi-systématiquement pour du métal, ou la couleur de l’émail de la Collection Port-Anna qu’on a du mal à décrire tellement il oscille entre le bleu et le vert selon la luminosité, j’aime assez l’idée que ces créations suscitent une surprise, et si possible une bonne !

Pour moi, la surprise est un sentiment marquant, qui reste en mémoire et dont on se souvient, car il a engendré des sensations intimes qu’on a même du mal à exprimer. Et si mon travail peut faire cet effet, alors je suis ravi ! C’est, à mes yeux, la valeur ajoutée de la création d’un artiste ou d’un artisan.

Tu as fait le choix, pour ces deux Collections, d’objets usuels, faciles d’entretien et de qualité. Y a-t-il une ou des raisons à cela ? Quelle est ta motivation ?

En ouvrant l’atelier en 2018, j’avais un champ des possibles infini, encore décuplé par le fait que ma candidature avait été retenue pour intégrer une résidence au sein de Motoco. Mais mon envie première reste le travail de l’objet utilitaire. Parce qu’il est un peu délaissé par les artistes et créateurs en recherche d’exclusif… parce qu’il y a un côté ingrat dans un objet qu’on utilise chaque jour en l’oubliant presque… et puis parce que la manière dont on considère un objet utilitaire est souvent plus accessible que le regard intimidé qu’on pose sur une œuvre d’art. Et ce qui est intéressant à mes yeux justement, c’est que tout le temps de recherche des formes, des textures, des couleurs ou encore de l’émail ne saute pas forcément aux yeux si on ne s’y connait pas. On voit une tasse pour la tasse, même si elle est très belle et originale. On ne se dit pas qu’il y a plusieurs mois de recherches pour en arriver là, et c’est ce que j’aime : cette discrétion de l’objet usuel par rapport à la sculpture ou à la création artistique par exemple. Pour moi, les conditions d’utilisation quotidienne sont importantes : les pièces doivent pouvoir passer au lave-vaisselle car c’est un appareil électroménager qui est maintenant rentré dans une forte majorité de foyers. Idem avec le four micro-ondes. Ce n’est pas parce que c’est artisanal et réalisé en petite série que ça doit être plus compliqué à utiliser que ce que nous trouvons partout ailleurs !

Ma conviction, c’est que des centaines et des centaines de pièces utilitaires qui servent chaque jour, ou plus occasionnellement, ont un impact peut-être aussi fort, ou peut-être plus encore sur le quotidien des gens qu’une superbe œuvre en céramique qu’on va admirer de temps en temps dans un musée ou une exposition.

Je crois savoir que tu travailles sur une troisième Collection… Peux-tu nous en dire plus ?

Tu es bien renseignée dis-donc, on dirait même que tu travailles à l’atelier avec moi ! Plus sérieusement, je travaille effectivement sur une troisième Collection depuis plusieurs mois. J’avais envie d’une collection rouge, donc j’ai commencé par faire des recherches d’émail pour trouver le rouge qui me plaisait, à des températures de cuisson compatibles avec les terres que j’avais en tête pour cette nouvelle collection… et rien que ces étapes m’ont déjà pris plusieurs mois. Entre temps, le premier confinement, puis le second, puis le troisième, ont bien bouleversé les choses… mais il reste encore juste assez de travail pour que j’espère sortir cette troisième collection avant la fin de l’année. Je ne peux pas en dire trop pour le moment car il reste encore de nombreux tests à finaliser, mais tu sais déjà le principal : cette Collection sera rouge !

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