Retour sur un projet fou !

Retour sur un projet fou !

PAR GIOM

Le 18 septembre dernier au soir, une drôle d’installation avait pris place dans la magnifique nef de la Fonderie à Mulhouse, pour la performance Sus scrofa ante-fessenhensis de l’artiste Elise ALLOIN : c’était une soirée magique qui aura demandé de longs mois de préparation. Retour sur cette aventure hors norme !

Un projet qui a débuté il y a un an déjà.

Il y a un an, en octobre 2020, lorsque les équipes de La Kunsthalle – Centre d’art contemporain de Mulhouse m’ont contacté pour me parler d’un projet artistique en cours, je n’imaginais pas vraiment où tout cela allait me mener… mais étant toujours avide de nouvelles expériences, je n’ai pas réfléchi longtemps avant de donner mon accord de principe !

Quelques jours plus tard, je faisais la rencontre d’Elise ALLOIN, artiste plasticienne en résidence de recherche au centre d’art contemporain de Mulhouse et au CRESAT de l’Université de Haute-Alsace, dans le cadre du travail qu’elle suit depuis une dizaine d’années. En effet, Elise explore notre relation à la radioactivité par une approche artistique ; cet élément invisible qui modèle aujourd’hui nos paysages et nos territoires, nos relations politiques et sociales, nos circulations et nos gestes, notre rapport au temps et à l’espace… Ce projet s’inscrit dans son projet global de recherches intitulé Demain Fessenheim.

L'artiste Elise Alloin photographiée par David Betzinger pour La Kunsthalle

Ce projet de recherche artistique d’Élise prend appui sur une situation territoriale inédite en France : l’arrêt des réacteurs de la centrale nucléaire de Fessenheim en février et juin 2020 jusqu’à son démantèlement dans les années à venir. Alliant temps de recherche et de créations, le projet déployé sur 3 ans, entre 2020 et 2023, se situe sur le terrain de l’observation et du sensible, en double regard d’artiste et de chercheure. Il tisse des liens entre l’art et les différentes questions soulevées par la transition d’un territoire (incluant l’approche artistique dans un débat sociétal contemporain).

Demain Fessenheim - Elise Alloin - 2020

Dans le cadre de ce projet, Elise a conçu une œuvre triptyque.

Se basant sur la présence de sangliers au sein de l’enceinte de la centrale nucléaire de Fessenheim, avec la matière issue de l’animal, trois pans d’une même œuvre se déroulent : un banquet performatif pour déguster sa chair, l’utilisation de sa peau comme support d’un dessin, et une sculpture à partir des os de son squelette.

C’est au premier volet de cette œuvre triptyque que j’ai été associé, en coproduisant, aux côtés de La Kunsthalle, centre d’art contemporain de Mulhouse, les assiettes pour le banquet. Le cahier des charges était simple, tout en étant follement ambitieux : réaliser autour de 400 assiettes, de formes et de hauteurs différentes, qui s’assembleraient dans un pavage géant sur le modèle des combinaisons aléatoires du mathématicien Penrose, qui seraient utilisables sans danger pour un banquet et présenteraient un décor en lien avec l’œuvre : couleur, texture, motif, etc.

Un pavage Penrose, d'après les travaux du mathématicien Roger Penrose

De l’idée à la concrétisation…

Mais une fois l’idée posée, il faut la confronter à la réalité de la matière, aux infinies possibilités qu’offre la céramique, aux capacités techniques et aux compétences des différentes parties prenantes. Et c’est là que nous avons débuté, avec Elise, un long travail de recherche pour réduire, au fur et à mesure des mois passés, le large éventail des possibilités pour fabriquer ces assiettes.

Nous avons alors tout envisagé, et quasiment tout testé pour confronter nos idées à la réalité de la matière :

  • Des assiettes estampées dans des moules en plâtre, des assiettes réalisées à la plaque… pour finalement s’arrêter sur des assiettes coulées dans un moule en plâtre ;
  • Un travail réalisé en grès ou en faïence, plus rustique et moins sensible aux déformations pendant le processus de fabrication, pour finalement choisir la Porcelaine de Limoges, plus fine et en phase avec le projet de banquet monumental ;
  • Des moules en plâtre en une partie ou en plusieurs, réalisés à partir de pièces cuites, d’éléments imprimés en 3D, d’éléments façonnés à la découpeuse laser… pour finalement s’arrêter sur la réalisation de moules à partir de modèles en terre crue à l’échelle 1 ;
  • Une cuisson à l’envers pour permettre l’application d’un émail sous l’assiette, une cuisson sur du sable de Nemours pour permettre la parfaite rétractation des assiettes pendant la cuisson, une cuisson à l’endroit avec un émail uniquement à l’intérieur de l’assiette ;
  • Des décors réalisés à l’engobe, des reliefs figurant des poils de sanglier réalisés dans les moules ou directement sur les assiettes, des décors apposés sous forme de transfert ou de décalcomanies, un travail au jus d’oxyde, une combinaison d’émaux pour donner une texture et une couleur particulières à l’assiette… pour finalement s’arrêter sur une Porcelaine de Limoges teinte dans la masse avec des oxydes et des pigments dosés de manière à donner différentes nuances de bleu.
Les premières esquisses de forme, réalisées en carton
Quelques tests parmi les plusieurs dizaines réalisés lors des recherches

A ce stade de la lecture, vous vous dites sûrement que le plus complexe est passé… et bien non !

Car une fois que nous avions décidé de couler la Porcelaine de Limoges teintée dans la masse dans des moules en plâtre, il fallait déjà fabriquer les moules en plâtre, ce qui n’était pas une mince affaire, puis faire les tests des différentes compositions de teintes pour choisir ce qui convenait au projet. C’est Elise qui a réalisé 18 moules en plâtre, à partir de matrices en terre représentant les assiettes.

Puis nous avons fait de nombreux tests pour définir les couleurs à sélectionner.

A partir de là, nous savions à peu près vers où nous voulions aller.

Elise a défini le nombre d’assiettes à fabriquer pour que le pavage ait la dimension et les dimensions souhaitées, tout en pouvant être utilisé pour le banquet pour 80 personnes. C’est aussi à ce moment-là que nous nous sommes rendu compte que nous n’arriverions pas à mener à bien le projet dans le temps imparti sans l’aide d’une personne supplémentaire pour prendre en charge la réalisation des assiettes qui prenait beaucoup de temps. Car si les recherches ont été fastidieuses et longues, elles se sont étalées sur plusieurs mois… alors que la fabrication des assiettes devait impérativement être faite en quelques semaines pour pouvoir respecter la date de la performance calée le 18 septembre !

Heureusement, Estelle Vinter, céramiste résidente à Motoco a rejoint l’aventure et a travaillé comme une dingue pour que ces assiettes puissent être terminées. C’est elle qui a coulé patiemment les plus de 600 assiettes (et oui, pour en avoir un peu plus de 500 à la fin, il a fallu en faire bien plus pour anticiper la casse aux différentes étapes : vive la céramique !), apprivoisé les gestes, le matériel, organisé la rotation des moules en fonction de leur taux d’humidité résiduelle, alterné les couleurs de Porcelaine pour atteindre l’objectif de quantité et de qualité !

Et puis petit à petit, les assiettes ont été réalisées à Motoco, puis cuites une première fois dans mon atelier : ces biscuits ont ensuite été transférés à Guewenheim, à la faïencerie de la Doller, pour qu’Elodie et Thomas fassent les cuissons haute température dans leur four géant !

Au final, le banquet s’est bien tenu le 18 septembre, les assiettes étaient au rdv et le rendu de l’œuvre était vraiment très réussi : une belle fierté partagée par tous les acteurs du projet. Car c’est un projet un peu fou qui a pu se réaliser en partenariat avec Marc Haeberlin de l’Auberge de l’Ill, l’association Epices, le Centre International d’Art verrier de Meisenthal, l’artisan boucher Michel Herrscher, le vigneron Franz Keller, le louvetier Arnaud Vlym, Printincubator, avec l’accompagnement énorme de La Kunsthalle, centre d’art contemporain de Mulhouse et le soutien financier de la Région Grand Est.

Alors que ma participation au projet est terminée, je suis plein de gratitude pour celles et ceux qui m’ont emmené dans l’aventure :

Un grand merci aux équipes de La Kunsthalle, en particulier Sandrine, Emilie et Jonathan, qui ont suivi ce projet de près et mis de l’huile dans les rouages quand nous ne savions plus comment faire tourner la mécanique !

Merci également à Elise pour sa confiance.

Et un gigantesque merci à Estelle pour sa présence à mes côtés, jour, soir et matin, pour faire en sorte que tout se passe au mieux.

Au final, c’est une grande fierté pour moi d’avoir réussi le challenge et d’avoir tenu le cap pour cette première coproduction d’une œuvre contemporaine. Et quelle joie de voir les yeux des 80 convives au banquet pétiller pendant la performance !

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